Rencontre avec l’équipe du club Sacré à Paris
Entrez dans le club et venez fouler les plus beaux dancefloors européens. Technopol est parti à la rencontre des gérant·e·s, des programmateur·rice·s, des chargé·e·s de communication,… qui ne cessent de faire vivre nos chères et tendres musiques électroniques. Une ode à leur passion, dans ces lieux de culture, de rencontre et de création : iels se battent pour continuer à nous accueillir dans toujours plus de folies, d’inclusivités et surtout de voyages musicaux. Comment ont-ils évolué depuis leur soirée originelle ? Quelle est la particularité de leur programmation ? Qui sont les fêtard·e·s qui font vivre leurs murs ? Et comment nous feront-ils danser demain ? Iels y répondent dans Enter The Club.
©sarahwillmeroth
Pour ce second épisode d’Enter the club, direction le cœur de Paris, dans un sous-sol où ce sont d’étranges statues qui sont à l’accueil, Sacré. Anciennement dédiée aux concerts sous le nom de Triptyque, puis progressivement au clubbing au sein du légendaire Social Club, et pendant un court moment du Salo, la salle du 142 rue Montmartre a une histoire chargée.
La programmation se baladait déjà entre musiques électroniques alternatives, french touch 2.0, rap et tout ce qui faisait qu’une salle pouvait entrer en ébullition. Le principe est repris par la nouvelle équipe de Sacré, avec l’invitation d’artistes allant de Ricardo Villalobos à Paloma Colombe, en passant par des soirées Techno Body Music ou les folles danses d’Habibitch, et en invitant des collectifs comme 99Ginger et Roche musique, le tout pour aboutir à une programmation 100% paritaire. Et avec une arrivée en renfort d’Allo Floride pour gérer la partie concerts.
Mais la nouvelle team a amené en plus l’envie d’en faire un vrai lieu de vie, en créant deux espaces dans la salle : le club, et le discobar. Ce dernier est un espace de bar et restauration où la programmation est plus orientée world, house, disco, chill. Il est aussi l’endroit où Sacré Radio a pris ses quartiers, à la faveur des confinements. Une radio qui prolonge l’activité du club la journée, et agit comme véritable tremplin, y compris pour des artistes qui se retrouvent à jouer dans le club par la suite. Des tremplins aussi activés par les cours de DJing donnés régulièrement par Future Female Sounds aux femmes et non binaires.
Mais Sacré c’est aussi un design intérieur bien identifié à Paris. Les statues qui enchantent le lieu sont devenues une de ses principales marques d’identification. Un coup de génie signé par l’architecte d’intérieur Marion Mailaender, qui signe aussi un discobar à l’atmosphère de crypte romaine, mi antique, mi-minérale, 100% disco. Le tout est parachevé par une boule à facettes destructurée par le collectif Matière Noire, et mise à plat sous la forme d’un dispositif lumineux cinétique qui transperce la fumée qui entoure le dancefloor de la partie club.
Qui est derrière Sacré?
Sacré est né de l’envie de 3 amis d’ouvrir un lieu ensemble : Martin Munier, Adrien Rouquette et Nitish Khoobarry. Florent Sales a rejoint l’équipe dès la genèse du projet sur la communication et le graphisme. Depuis bientôt un an, la team s’est agrandie en accueillant Marie Aymé, programmatrice musicale, Camélia Moghaddam, responsable communication, et Basile Mira, le couteau suisse par excellence !
Comment s’est passée l’arrivée dans le lieu?
Le 142 rue Montmartre est un lieu mythique : ça fait presque 20 ans que c’est un club. Il a ouvert en 2003 sous le nom de Triptyque, puis est devenu le Social Club pendant une dizaine d’années, et pendant un temps court, le Salo, le Cats & Dogs, le 142 … En 2018, la salle était disponible et vacante, nous nous sommes positionnés dessus; nous avons récupéré le fond de commerce et l’autorisation de l’exploiter. C’était un défi de taille pour tout un chacun connaissant l’empire du Social Club, mais nous nous sommes lancés dans cette aventure en proposant notre vision du lieu : deux salles/deux ambiances, avec le discobar en début de soirée, et le club, ouvert dès minuit.
©sarahwillmeroth
Qu’est-ce qui vous a orienté vers cette salle dans le centre de Paris plutôt que vers des espaces en périphérie, comme ça peut être le cas maintenant pour des clubs qui se montent ?
Honnêtement, la question ne s’est pas réellement posée étant donné que l’opportunité s’est présentée à nous, et que c’était une opportunité tellement folle qu’on a juste foncé ! Aujourd’hui, si on devait ouvrir un nouveau lieu, l’idée d’aller en périphérie nous semble intéressante. Les dynamiques et enjeux sont totalement différent·e·s : les espaces, leur gestion, et surtout les possibilités qu’ils offrent.
Quand vous êtes arrivés, l’âme des clubs précédents était-elle toujours présente?
Disons que l’âme a toujours été présente à travers l’énergie qui y a débordé des années entières, et via la scénographie encore sur place. Nous avons évidemment décidé d’insuffler un vent de fraîcheur en créant notre propre univers avec notre décoration, mais nous avons décidé de conserver telles quelles les loges et leurs légendaires murs, graffitis et stickers, inchangés depuis 20 ans ! Beaucoup de noctambules sont ravi.es de les retrouver, plein.es de nostalgie.
©Axel Simon
D’où vient le nom Sacré ?
Le nom vient d’une longue discussion entre Martin Munier et son ami Anatole, qui a le studio de graphisme Parade. C’est d’ailleurs lui qui s’occupe de tout l’univers graphique de Sacré.
Disons que « Sacré », c’est juste l’adjectif qui sublime tout; on ne voulait surtout pas que ce soit perçu comme religieux. Comme on est rue Montmartre, il y a aussi un sens avec le Sacré-Coeur qui est situé sur la butte Montmartre, mais là aussi sans le côté religieux – c’est juste un clin d’œil.
Quelles sont les différentes activités de Sacré?
Sacré est un lieu de vie protéiforme. Son cœur de métier se concentre dans le clubbing. Une autre partie est orientée vers le bar/la food, et on essaie de développer l’activité concerts petit à petit. Avec la covid, le monde de la culture et de la nuit s’est retrouvé immobilisé pendant deux longues années. Sacré Radio a permis de rendre vivant notre club qui était fermé, en accueillant au quotidien des artistes pour des djs sets dans le discobar. Le projet a grandi, avec pour vocation de diffuser de la musique 24h/24, s’imposant aujourd’hui à la direction artistique des mercredis soirs du Concorde Atlantique, ou du festival de musique électronique Djerba Selectors.
Qui sont les publics qui viennent à Sacré?
Nos horaires d’ouverture et nos programmations attirent des publics très variés, entre les audiophiles, les fêtard·e·s sans relâche, les hédonistes amateur·ices de bonne food et de bons vins nat, celles et ceux qui bossent tard et viennent juste finir la soirée chez nous. Le répit imposé par la covid a permis un grand temps de réflexion; depuis la réouverture, nous mettons un point d’honneur à la safeness et l’inclusivité entre nos murs, à travers une formation avec le collectif Consentis (luttant contre les violences sexistes et sexuelles dans les milieux festifs). En gros, on accueille plein de personnes différentes, tant qu’elles sont safe et good vibes !
Quelle est l’esthétique musicale de Sacré ?
La grande particularité du Sacré repose sur ses deux espaces aux univers distincts. La partie club a la volonté de couvrir une grande majorité des esthétiques électroniques avec un accent sur la house. De son côté, le discobar a une volonté de sortir de la musique électronique et d’aller plus du côté groove, world music, funk, disco. On bâtit une vraie famille de résident·e·s avec des ADN musicaux très forts : Tatyana Jane, Paloma Colombe, Maxye, Baz, DVDE et Boston Bun.
Tu dirais que les esthétiques spatiales de chaque espace correspondent bien aux esthétiques musicales?
Totalement, il y avait une nécessité de retranscrire notre dualité musicale dans la scénographie. Quatre murs noirs d’un côté de la salle du club, et de l’autre côté un bar, beaucoup plus lumineux, avec des assises et des tables, dans un esprit plus convivial.
Qui sont l’architecte d’intérieur et le scénographe?
Le collectif de scénographes s’appelle Matière Noire, ils ont collaboré avec AC3 Studio pour le côté réalisation et technique.
Marion Mailaender est quant à elle l’architecte d’intérieur. Elle a une identité très affirmée, avec un côté upcycling intéressant, et elle n’avait jamais fait de club; ce qui était un vrai avantage dans sa proposition, parce qu’on voulait donner à cet endroit l’image d’un lieu qui aille au-delà du « simple » club.
©sarahwillmeroth
Comment s’est construite avec eux la vision que vous aviez pour Sacré, en termes d’imaginaires et d’espaces?
La volonté de Marion, c’était de twister le côté mystique du nom en revisitant les codes architecturaux d’une crypte, ce qui explique les statues en pierre, les matières brutes et les niches dans les murs.
L’équipe de Matière noire a pris le contrepied du discobar en imposant leur vision d’une boule à facettes. Ici la lumière ne se reflète pas dessus, mais vient de l’intérieur de la structure. Il y a un jeu de lumière, de miroir et de fumée qui donne ce côté contemplatif.
©sarahwillmeroth
Pour toi, qu’apporte ce dispositif mystique créé par Matière Noire à l’expérience du clubbing?
À la toute base du projet, c’était notre pièce maîtresse. Nous avions très peu de lumières club, de spots automatiques et de Par LED plus classiques. Toute l’énergie était concentrée autour de cette structure : c’était un pari osé, en se concentrant sur le dancefloor et non sur la scène.
Nous voulions concentrer l’énergie sur la piste, ce qui apportait une expérience différente des autres salles où l’énergie se passait sur la scène. Par la suite, nous avons un peu ajusté, pour équilibrer et créer une véritable osmose entre l’artiste et le public.
Le Discobar a été pas mal modifié aussi ?
Tout à fait. Initialement, nos inspirations pour le discobar étaient un savant mélange entre un bar audiophile japonais et un pub anglais. Nous avions une programmation de selectors, qui jouaient sur un volume assez bas, mais le public a (très) vite manifesté son envie de danser. Nous avons donc redonné une place centrale au booth, et capitalisé sur le côté festif de l’espace.
Dirais-tu que les configurations spatiales et les différents éléments de scénographie ont été un vecteur d’attractivité et de visibilité pour Sacré? Au-delà de la programmation et des activités du club.
Le public aime vivre des expériences, et découvrir des esthétiques différentes. Sacré a un univers assez fort avec ses deux salles et son architecture. La scénographie, la programmation, les activités, les nouvelles expériences, c’est un tout. Aujourd’hui, ouvrir un club et avoir seulement quatre murs et un booth, ça nous semble compliqué pour tenir sur le long terme.
©Axel Simon
Comment vois-tu le futur des clubs?
Il y a une vraie volonté de mixité sociale sur le dancefloor, qui est beaucoup plus présente qu’avant, et ça, ça va dans le bon sens. Il y a des choses dont on ne parlait pas du tout/ou trop peu avant comme les violences sexistes et sexuelles, l’inclusivité, la représentativité. Ces problématiques sont primordiales. On travaille au quotidien sur ces sujets, car on n’était clairement pas un exemple ! Le futur du clubbing, c’est qu’on devienne véritablement une fête ouverte, où tout le monde peut s’y retrouver, et pas juste une certaine catégorie de population. Le décloisonnement musical va de pair avec cette évolution.
©sarahwillmeroth
J’imagine que ça fait partie des directions que prend Sacré?
Complètement. Aujourd’hui, Marie, notre programmatrice, a mis en place une programmation paritaire sur les week-ends. C’est aussi une façon de faire bouger les choses et d’être acteur. Ce n’est pas si simple, parce que la musique électronique est majoritairement représentée par des hommes blancs cis hétéro, mais c’est un cercle vertueux important : ça pousse de plus en plus les femmes à se dire que c’est possible de mixer, d’être headliner, et de se mettre à produire.
On fait d’ailleurs des ateliers avec l’association Future Female Sounds -qui initie les femmes au mix- une fois par mois. On porte l’espoir que plus tard, le clubbing permettra la pleine expression des talents sous-représentés jusqu’ici.
Article écrit par Axel Simon
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