Technopol Mix 075 | CABALE

Entre Break, jungle, acid, et Ghetto Techno, CABALE, navigue entre les influences et les genres depuis ses débuts en tant que dj et producteur à Shangaï. La musique lui permet d’explorer une réalité alternative et des émotions aux contours flous, qu’il partage avec ses auditeur·rices. À travers les histoires racontées se matérialise une bulle éphémère entre la scène et le dancefloor, créant un échappatoire au présent. C’est dans cet état d’esprit que naît ce podcast, à la fois deep, percussif et ancré.

 

Peux-tu nous parler de tes premières rencontres avec la musique, et de la façon dont la musique électronique s’y est immiscée ?

J’ai commencé  un peu comme tout le monde dans les disques de mes parents; mon beau père passait les Pink Floyd et les Gipsy Kings (en Camargue, où j’ai grandi, c’est un peu la base pour s’échauffer avant les Ferias), ma mère Sade et Céline Dion. Un mélange assez éclectique qui m’a poussé naturellement vers la musique rock, avec mon premier concert à 15 ans aux Vieilles Charrues au premier rang pour voir Muse.
Comme c’était compliqué à l’époque d’écouter une quantité infinie de tracks (le haut-débit était encore loin), j’écoutais beaucoup la musique de mes jeux vidéos, en particulier les compositions de Final Fantasy, que je retrouvais sur YouTube. Cela a beaucoup d’influence dans mon travail aujourd’hui.
Peu initié à la musique électronique, j’y étais même assez hostile et ne comprenais pas quelle part créative l’humain avait dedans. Au lycée j’avais une bande de potes qui écoutait beaucoup de neuro et de hard tech, avec d’autre on balançait Skrillex sur nos Galaxy S pour déconner parce qu’on était des Emo qui aimaient bien headbang sur de l’électro.
C’était donc dubitatif que j’ai eu ma première expérience en club à la Villa Rouge, ancien pilier des soirées LGBT à Montpellier. En effet, j’étais un jeune queer de la campagne en recherche d’identité et de lieux de socialisation. La Villa était peu rite de passage pour entrer dans cet univers. Et quel univers qui s’offrait à moi ! Depuis lors, je n’ai plus jamais décroché.

Quel était ton premier gig ? Comment l’as-tu vécu ?

Il y a 5 ans, je contemplais l’idée de me lancer dans l’électro, mais sans grand espoir. Catapulté en Chine en banlieue de Shanghai (Suzhou) pour mes études, je me suis un peu senti pousser des ailes dans cet immense terrain de jeu. Vivre à l’étranger permet de s’affranchir des principes et de notre perception limitante de nous-mêmes. C’est alors que, suite à la rencontre avec le boss d’un club, que j’ai naturellement proposé de mixer sur une de ses prochaines soirées. Alors que je n’avais jamais touché à des CDJ de ma vie. Je crois que ma passion irradiait et m’a rendu convaincant alors que je n’avais aucune idée de la ou je mettais les pieds. J’ai eu le temps de grappiller quelques conseils par-ci par-là et c’était parti. ( là-bas YouTube pour les tutos, c’est pas dispo ! )
Le moment reste est assez flou, je me rappelle avoir été transi d’effroi jusqu’au moment de monter sur scène, mais une fois le premier quart d‘heure passé, je me suis senti dans mon élément. Ancré pour la première fois depuis bien longtemps dans une énergie que je ne voulais plus jamais quitter.
Je serai toujours reconnaissant envers Luz, le boss du Deep Roll, de m’avoir donné cette chance, ainsi qu’à toutes les personnes qui s’étaient déplacées pour apporter du soutien à ce baby DJ qui ne savait même pas comment fonctionnait un Jog Wheel.

Pourrais-tu nous parler un peu du contexte dans lequel tu as créé ce podcast ? Y avait-il des émotions spécifiques que tu voulais transmettre ?

J’ai eu l’opportunité de venir aux studios de Technopol enregistrer le podcast, (merci beaucoup pour l’accueil ! ) dans un contexte assez particulier pour moi, puisque c’était la fin de ma première « tournée » : je venais d’enchaîner 5 villes en 5 jours, dont le Bon Air festival à Marseille. La veille, on avait tout cassé avec l’équipe d’Aire 2 Repos à Tours pour Les Ilôts. J’étais dans cet état d’épuisement et de joie extrême d’avoir pu tester ce que c’était de tourner pour la première fois.
C’est donc dans une vibe sereine que j’ai décidé d’improviser un podcast percussif, deep, ancré. C’est ça le terme je pense, ancré.

En tant qu’artiste, comment souhaites-tu évoluer dans les années à venir ? Y a-t-il un nouveau moyen d’expression artistique que tu aimerais utiliser ?

Je suis certain que la musique sera toujours le pilier central de mon expression. Lorsque je travaillais en Chine, j’ai pu me rapprocher des médiums visuels et du mapping en particulier. Je souhaite intégrer le plus rapidement cela à mon projet live (qui est en cours avec le VJ Costello). À cela s’ajoute mon intérêt pour les technologies émergentes. J’aimerais avoir une vie supplémentaire pour apprendre le codage, et réaliser ma propre intelligence artificielle afin d’intégrer de l’art génératif à mon live pour étendre mon expression, que je peine à faire jaillir avec des mots. Un peu comme la collaboration de Björk et Microsoft sur le projet Kórsafn, une composition qui évolue au contact des changements occurrents dans le ciel, que cela soit météorologique ou physique (passage d’oiseaux, d’avions, etc.). Là où avant je n’y voyais rien de tangible, j’ai réalisé que la technologie était un formidable canal d’expression, une extension de l’humain aux ressources infinies. Le tout, en ayant un pied dans l’organique. Je garde toujours en tête cette quote de Björk: “I find it so amazing when people tell me that electronic music has no soul. You can’t blame the computer. If there’s no soul in the music, it’s because nobody put it there.” (« Je trouve incroyable que les gens me disent que la musique électronique n’a pas d’âme. On ne peut pas en vouloir à l’ordinateur. S’il n’y a pas d’âme dans la musique, c’est parce que personne n’y a insufflé celle-ci »)

Trouves-tu que la scène des musiques électroniques est suffisamment inclusive ?

Je pense que c’est une question qui nécessiterait un article complet, mais je vais essayer de résumer mes pensées.
Je suis très optimiste quant à la diversité croissante de collectifs, labels, et prise en considération de la parité de la part d’événements plus ou moins importants sur la scène électronique. Néanmoins je me retrouve en colère face aux orgas qui ne cherchent qu’à correspondre aux quotas, et ce de manière déplorable. Je constate que des collectifs féminins sont bookés sans que l’on prête attention à leur proposition musicale, pour qu’après leur set, le boss les complimente à coup de « ah si j’avais su, je vous aurais programmées plus tard dans la timetable ». De gros clubs bien identifiés se gargarisent un 8 mars ( journée internationale des droits des femmes ) de constituer des line up 100% féminins, sans pour autant rémunérer au minimum légal. Les gros festivals qui ne book que des femmes en tremplins, pour assurer les quotas ( c’est en tout cas ce que cela renvoie ). Je pourrais passer la journée à énumérer toutes ces injustices.
Pour moi, ces situations illustrent une transformation des schémas oppressifs, et non leur suppression.
Pourtant, je me dis, que c’est déjà un bon début. Mais cela fait des années, que l’on nous rabâche ce « bon début ». J’ai foi en de gros collectifs comme les Soeurs Malsaines, qui feront pencher la balance, et ce de manière radicale, afin d’instaurer des normes plus équitables sur la scène globale.

Un label où tu rêverais de release une track ?

Sans hésiter, le label POLAAR. Ce label est pour moi l’essence même de la bass music d’avant garde aussi contemplative que riche en énergie. Une vraie référence. C’est une de mes motivations principales à l’heure actuelle pour me former à la prod afin d’atteindre un niveau correct dans mon développement artistique. Et j’ai encore du travail !

Dans tes productions et tes sets/live, qu’essayes-tu de transmettre à ton public ?

J’ai toujours eu de grandes difficultés à exprimer mes émotions à l’écrit, ou même à l’oral. La musique électronique me permet de transcender cela pour naviguer dans des émotions tantôt sombres et énergiques, qui même pour moi ont des contours flous.
On m’a souvent dit que je n’étais pas ancré dans la réalité. En effet, c’est la réalité dans laquelle je me suis évadée que je raconte dans mes compositions.
La scène et le dancefloor échangent pour créer un environnement unique le temps de quelques heures, une bulle d’où naît une réalité éphémère dans laquelle j’aime naviguer et raconter mes récits.

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