
Technopol Mix 111 | Gipsyan
On a pu le voir en tant que host sur Piñata Radio, producteur avec des sorties remarquées notamment sur le dernier V/A du label colombien Tratratrax, mais aussi chez Contre Jour, Monstart, Nehza, [R]esources, aux côtés de Pura Pura, Cardozo ou encore Ouanounou … C’est bien le DJ et producteur montpelliérain Gipsyan qui prend les rênes de ce 111ème épisode de Technopol Mix avec un set mental profond. Chez lui, les sonorités percussives ont toujours été présentes, dès l’enfance, du flamenco au nagara indien, jusqu’à ses premiers pas en production puis vers le djing. Aujourd’hui, iI se distingue par la polyvalence de ses sélections et fait partie de cette scène d’artistes français embrassant la club music dans toute sa richesse : entre Baltimore Club, Leftfield, Minimal Bass, Drum Tracks, Dancehall, Reggaeton, Dub, Dubstep, UK Funky ou encore Footwork… Il parvient à mélanger le tout, porté par l’envie de construire des moments de nostalgie et d’euphorie collective pour les danseur·euses. Ce nouveau set pour Technopol, aux couleurs Minimal Bass & Drums, reflète parfaitement cette démarche. Une montée progressive, précise et naturelle, où chaque track s’installe avec justesse, offrant une écoute introspective jusqu’à basculer tout en finesse vers une seconde moitié de set plus percutante.
Peux-tu nous parler de tes premières rencontres avec la musique, et de la façon dont la musique électronique s’y est immiscée ?
Ma mère était danseuse de flamenco. Elle était jeune et nous vivions seuls, donc j’étais toujours avec elle — notamment à ses cours, où je m’endormais sur les bancs au son des talons frappant le plancher. Les rythmiques flamencas font partie intégrante de ma vie : je les entends partout, je les reproduis constamment. Plus tard, on a voyagé en Inde, où j’ai renforcé mon lien avec les percussions en apprenant les nagara, puis les tabla. Ce sont des expériences fondatrices. La musique électronique est entrée dans ma vie vers mes 10 ans, quand j’ai découvert Discovery de Daft Punk dans une pochette de CD en vrac. Ce n’est pas très original, mais je rêverais de pouvoir le réécouter pour la première fois. À l’époque, je n’avais aucune idée reçue de ce qu’étaient la disco, la funk, la house ou la techno. Encore moins de Cerrone, UR, de la French Touch, Cassius, Crydamoure ou Roulé. Chaque morceau stimulait mon imagination. Vers 16 ans, j’ai commencé à apprendre Ableton Live 7. Ça a été un parcours conflictuel : je continuais à produire, mais je détestais ça. C’est lors d’un stage avec l’ingénieure du son Patricia Desroches que j’ai appris les bases du mixage. Son approche m’a permis de sortir mon premier single, Synchronicity, sur le label Contre Jour et de me placer sur des compilations dans la foulée.
Dans tes productions et tes sets/live, qu’essayes-tu de transmettre à ton public ?
Quand je me sens bien, l’émotion est constante : un mélange de nostalgie et de joie. Je cherche à créer des moments hors du temps, à sourire aux danseur·ses et à leur transmettre de la gratitude. Mes productions, en revanche, sont souvent plus tendues, introspectives. J’aime les morceaux minimalistes, où le « drop » est plus mental que physique. J’aimerais que ma musique agisse comme une catharsis :
Wake Up To Reality évoque la déception face à un système en échec, et le rapport à la douleur mentale. C’est une invitation à trouver l’apaisement en soi et non à l’extérieur.
Guapo 169 est un morceau qui appelle à une confiance en soi débordante, une tension quasi-érotique, mais surtout une force qui s’adapte et qui ne détruit pas.
Wet Dreams parle d’amour naissant, du désir jusqu’à la découverte de l’autre. Quand le temps se dilate et qu’il ne reste que la relation, suspendue.
Qu’as-tu préparé pour ce podcast ? Peux-tu nous parler un peu de ta sélection ?
Créer ce podcast n’a pas été simple : ma clé USB principale est tellement pleine que je ne peux plus préparer un set depuis mon laptop. J’ai donc utilisé une nouvelle clé, plus récente, qui contient uniquement ce que je joue aujourd’hui. Ce mix représente donc bien ma direction des deux dernières années. Il reflète mes influences passées et présentes, et la direction que je prends en production comme en DJ set. Je n’ai pas cherché à placer à tout prix des exclus ou de la nouveauté. L’innovation est venue dans la construction du mix : dernièrement, je blendais au minimum, pour révéler pleinement chaque morceau. Ici, j’ai pris le temps de mélanger tout en gardant l’essence de chaque track. On trouvera des morceaux Minimal, Techno Dancehall, Slow Tech, Drums, Club, Dubstep, Techno. Je voulais transmettre une écoute positive et naturelle. Prendre mon temps. Je suis content du résultat : c’est un mix Minimal Bass & Drums, c’est mental et ghetto, ça reflète ce que j’écoute et les phases que j’ai traversé en musique.
Quels ont été les temps forts de ta traversée dans le monde de la musique ?
• L’apprentissage des nagara à Pushkar avec Nathoo Lal Solanki, et cette photo dans le journal local, quand il m’a invité à jouer avec les adultes pour une cérémonie.
• La sortie de mon premier single Synchronicity sur le label de Dropout Marsh, Contre Jour.
• Mon premier show sur Piñata Radio. Big Up Thomas.
• Ma première date à Marseille avec la queen Goldie B — on a partagé le booth toute la nuit, la soirée était sold out à 1h30, tout le monde dansait.
• La sortie du vinyle Stepping Out avec Ouanounou sur Monstart, un label que je suivais depuis des années. Merci à John et Élodie <3
• La réalisation que la musique peut rapporter quelque chose — un peu d’argent, mais surtout un statut, en France, qui vient valider les choix que j’ai fait. Ce sentiment est sûrement relatable pour pas mal d’entre nous.
• Chaque collaboration avec des proches et artistes que j’admire (Karlita, Cardozo, Kaval…).
Si tu devais changer ou améliorer quelque chose sur notre scène, qu’est-ce que ce serait ?
C’est toujours compliqué de donner son avis sans connaître la totalité des paramètres. Mais le rapport aux réseaux — et particulièrement Instagram — me semble toxique. Bien sûr, les personnes mises en avant ont travaillé pour ça, mais ces plateformes invisibilisent, uniformisent, digèrent tous types d’arts et de causes. Il y a donc une majorité d’artistes qui ne veulent pas être créateurs de contenus, qui disparaissent de nos radars, et ce n’est certainement pas la sélection naturelle ; c’est le refus de participer à un culte de l’image qui devient glauque et artistiquement stérile. C’est un paradoxe, qui abîme la santé mentale dans toutes les sphères artistiques et donc la créativité. Arrêtons de juger sur les followers ou les snippets en carrousel. Écoutons les projets en entier. Découvrons les univers. Et surtout : écoutons plus de musique. J’ai eu des discussions avec des pros du milieu (qui sont essentiels), mais beaucoup n’écoutent plus assez, voire pas du tout de musique. Ils ne font plus de veille, et fondent leur avis sur le reflet déformé des réseaux.
Quels sont tes projets à venir ?
• Un projet collaboratif avec un producteur que j’adore, autant pour sa technique que pour sa personnalité. (Indice : il a déjà participé au podcast Technopol.)
• Mon second EP solo à venir sur un jeune label prometteur avec une D.A pointue, et des remixes d’artistes que je respecte fort.
• Et quelques V/A !