Marsatac : retour sur 24 ans d’engagement avec Béatrice Desgranges, la fondatrice du festival

Retranscrire une rencontre, transmettre une histoire, délier les langues et apprendre de celles·ceux qui façonnent le paysage des cultures électroniques. Technopol part à la découverte des personnalités singulières de notre milieu, certaines dans l’ombre et d’autres sur le devant de la scène.
Rencontre avec Béatrice Desgranges, fondatrice et directrice du festival Marsatac rendez-vous incontournable de la cité phocéenne.

On se retrouve le 10, 11 & 12 prochain dans le parc Borély à Marseille pour cette nouvelle édition qui sent bon l’été. Pour rejoindre l’événement Facebook, ça se passe ici !

 

 

Est-ce que vous pouvez vous présenter ? Puis présenter l’association Orane ?

Je suis Béatrice Desgranges, la fondatrice et directrice de Marsatac, festival pour lequel nous avons créé l’association Orane en 1998. La première édition s’est tenue en 1999 à Marseille, festival de hip-hop dans sa première monture, puis élargi aux musiques électroniques dès sa deuxième édition. Depuis le début, c’est un festival mêlant du hip-hop jusqu’à la techno dans ses immersions les plus festives et ensoleillées.

 

Comment est né le projet du festival ?

Le projet est né de l’envie de voir à Marseille, un festival qui nous ressemble et dans lequel on verrait des artistes et des esthétiques qui nous tenaient à cœur. Il n’y avait pas d’équivalent au moment où Marsatac a vu le jour. C’est en fait né du regard du public, et cela représente un axe très important du festival car c’est le fondement de la reconsidération du projet années après années. Nous sommes très attaché·e·s à rester avec ce regard de découvreur et de public : c’est cela qui nous guide.
La première année était uniquement dédiée au hip-hop et rap marseillais. C’était un succès dès la première édition. Bien évidemment le festival a grossi depuis sa création puisqu’il est né dans une salle de spectacle à Marseille et que depuis, nous avons défriché, investi et essayé plusieurs sites. Nous sommes presque à notre dixième site d’implantation depuis 24 ans : c’est aussi la marque de fabrique du festival.

 

Cela fait 24 ans que le festival Marsatac existe, quels ont été les grands temps forts depuis sa création ?

La première étape phare a été en 2002, le festival se tenait sur les îles du Frioul en face de Marseille. Cette année-là, nous étions sold-out plusieurs semaines à l’avance. A cause des conditions météorologiques, l’édition a été très empêchée, le deuxième jour ne s’est même pas tenu. C’est dans cette édition que nous avons vraiment ressenti l’engouement du public qui, pour certain·e·s, venaient de loin et ce pour une proposition qui était très originale surtout en 2002. Il y a très peu de festivals mêlant électro et hip-hop, encore aujourd’hui.
Nous avons senti cette année-là, qu’il fallait professionnaliser la structure, qui jusque-là était du bénévolat pour les équipes. Cette professionnalisation a été le deuxième acte fondateur fort. Puis le festival n’a cessé de se développer, d’accueillir années après années plus de spectateur·rice·s.
2008 a été une année importante, c’était notre dixième édition. C’était la dernière année sur l’esplanade du J4, site qui n’existe plus aujourd’hui puisque c’était une grande plateforme au bout du port où a surgi le MUCEM. A ce même moment, Marseille était désignée en septembre 2008 capitale européenne de la culture pour 2013. Ces années ont été très cruciales notamment en termes de création à l’international. Nous avons porté des projets notamment sous le nom de Mixatac afin de travailler sur d’autres territoires ayant des esthétiques et des pratiques musicales différentes. Nous avons fait rencontrer des artistes marseillais avec des artistes d’ailleurs et c’est comme cela que plusieurs résidences ont été établies à Bamako, à Beyrouth et au Maroc. Nous avons commandé des œuvres que nous avons ensuite reproduites de manière phonographique. Nous avons proposé ces projets en 2013 dans une soirée de clôture du festival.
Depuis 2021, nous entrons dans un cycle intéressant puisque nous sommes implanté·e·s sur un nouveau site : le Parc Borély, plus grand parc public du moins le plus beau de la ville de Marseille. Nous avons eu la chance de pouvoir investir ce lieu surtout sur une année aussi exceptionnelle qu’était l’année 2021.
Notre secteur d’activité, après avoir été complètement empêché en 2020, a pu ré-envisager de tenir des événements mais dans des conditions très contraintes. En 2021, nous avons organisé l’édition capsule dont la taille et le format était bien particulier. Cela avait très bien fonctionné et c’était l’occasion de goûter à ce lieu dont nous sommes fièr·e·s de pouvoir y produire la prochaine édition. C’est l’opportunité de se renouveler, de se questionner sur le format de la manifestation.

©Artuhr Lepron

Quelles sont les nouveautés pour Marsatac 2022 ?

L’implantation du festival dans le parc Borély nous a poussé à envisager l’accueil du public plutôt en journée. On a donc décalé les horaires : l’ouverture des portes se fera à 14h pour une clôture à 2h du matin, là où nous étions plutôt sur un festival très nocturne.
Nous avons eu envie de respirer sorti·e·s de cette crise sanitaire, et investir ce parc répond donc à nos nouvelles envies et j’espère au plus près des attentes du public.
Parmi les autres nouveautés, une scène sera totalement dédiée aux musiques électroniques afin de leur donner une place à part.

On peut dire que les festivals mêlant hip-hop et musiques électroniques sortent de l’ordinaire. Pourquoi ce choix de programmation ?

Tout simplement car nous écoutons les deux ! Nous nous sommes dit que si cela nous plaisait, c’est qu’il y avait forcément un public qui nous ressemble et qui aurait cette double influence. Nous avons toujours mêlé ces deux genres depuis la création de Marsatac.
Au début des années 2000, ce n’était pas forcément des esthétiques qui se répondaient. A ce moment-là, nous avions plutôt l’habitude de bâtir des programmations thématisées par jour. Mais au fil du temps, nous nous sommes rendu compte que les artistes dialoguaient entre-elles/eux et cela nous a légitimé dans le fait qu’on pouvait mélanger ces deux esthétiques.
Aujourd’hui, le public écoute les deux sans se mettre d’oeillères et tant mieux !

 

Représenter la scène locale est l’un des engagements forts de Marsatac. Cette année vous renouvelez le dispositif de la scène “la Frappe” dédié aux artistes émergent·e·s. Est-il possible de m’en dire quelques mots ?

Tout d’abord, nous avons toujours défendu la scène locale sans dire que c’était la scène locale mais en programmant des artistes issu·e·s de ce territoire : déjà car nous aimions ce qu’iels produisaient et que nous n’avions pas envie de leur coller une étiquette marseillaise.
La première édition était représentée par de nombreux artistes du rap marseillais : Psy 4 de la Rime, la Fonky Family, 3ème œil… Nous avons toujours eu beaucoup d’artistes de la scène locale dans notre programmation, c’est notre façon d’être engagé·e·s auprès d’eux·elles. Il y a même des artistes que nous avons programmé·e·s plusieurs fois car leur projet a évolué. C’est par exemple le cas de French 79 que nous avons accueilli depuis 2011 mais sous le projet NASSER qui était un projet plus rock.
A côté de ça, nous avons également lancé en 2019, un dispositif dédié qui s‘appelle la Frappe, outil d’émergence des jeunes talents du rap marseillais. La Frappe est à la fois une sélection des artistes de demain, la réalisation d’un spectacle dédié, et un dispositif scénique qui se veut très expérientiel vis à vis du public. En 2019, il n’y avait pas de scène, les artistes jouaient à même le sol, c’était dans l’esprit du hip-hop, dans l’esprit du cercle pour retrouver cette promiscuité entre l’artiste et le public.

La Frappe ©Frame Pictures — avec STLR, au Parc Chanot

Nous sommes très content·e·s de retrouver cette ligne directrice expérientielle, aussi bien du point de vue des artistes (qui pour certain·e·s n’avaient jamais rencontré du public) et pour le public, de pouvoir être dans une telle interaction avec les artistes.
Nous travaillons avec des partenaires qui nous aident à dénicher ces talents : un jury est à la manœuvre pour la sélection. En l’occurrence, Marseille Capitale du Rap, nouveau média sur le hip-hop à Marseille ; Synergie Family, opérateurs dans la gestion de maisons de quartier, maison pour tous qui représentent aussi des lieux d’expressions artistiques et l’AMI acteur historique du hip-hop à Marseille qui possède des studios et des dispositifs d’accompagnement à l’émergence pour des artistes. Pour finir, la boîte de production Only Pro, incontournable au niveau local puisque c’est celle de Soprano et d’Alonzo et qu’eux même ont leur propre écurie.
Avec l’ensemble de ces partenaires, cela nous permet d’être le plus exhaustif possible dans le repérage. C’est ensuite le jury qui est souverain qui fera sa sélection.

 

Il y a quelques mois, vous avez lancé Marsatac Agency. Qu’est qui vous a décidé de vous lancer dans cette nouvelle aventure ? Comment avez-vous sélectionné les artistes ?

L’idée de l’agence est vraiment née dans le prolongement de ce que je disais au début : nous avons toujours soutenu les artistes locaux car nous leur avons fait de la place sur scène mais que nous les avons aussi embarqué·e·s dans des projets de création, les fameux Mixatac par exemple mais pas que. C’est la suite de ces projets là d’une manière structurée.
Nous avons donc créé une agence qui développe trois métiers que sont le management, le booking et la production de spectacle.
Nous avons repéré une première génération d’artistes puis le catalogue s’est enrichi de trois nouveaux talents au mois de janvier. Les esthétiques sont très proches de celles défendues à Marsatac, c’est-à-dire qu’il y a aussi bien des artistes de l’électro que du hip-hop. Ce sont des projets différents les uns des autres et on est content·e de pouvoir leur apporter un cadre professionnel et professionnalisant pour les aider à développer leur carrière artistique. Nous sommes très fièr·e·s de cette nouvelle activité.

 

La notion de safe place tient une place de plus en plus importante pour le public et pour les organisateur·rice·s d’événements. Vous avez lancé il y a un moins d’un an, le dispositif SAFER. Comment l’avez-vous déployé ?

Nous avons lancé le dispositif en 2021 mais c’est une réflexion qui date d’avant.
Marsatac a toujours été, dans sa manière de produire le festival, très attentif à tous les aspects de prévention à l’attention de ses publics : prévention contre tous les risques qu’ils soient liés à la consommation d’alcool ou autres substances et violences sexistes et sexuelles.
En 2018, le CIDFF est venu nous proposer une campagne puisqu’iels voulaient sensibiliser et mobiliser un public de jeunes sur la question des violences au sein du couple. C’était une opération qui s’appelait “Violence, je te quitte”. Nous nous sommes tout de suite senti·e·s concerné·e·s par tout ça : un festival comme Marsatac est un lieu de sensibilisation où il est important d’aborder ces sujets.
En toile de fond il y avait mouvement #MeToo et #MusicToo, nous avons tout de suite senti que quelque chose était en train d’être dénoncé. En 2019, nous avons donc créé la première safe-place sur le festival en partenariat et avec l’accompagnement du CIDFF qui a permis d’avoir à la fois des juristes et des psychologues sur place pour recueillir la parole et pour être un lieu d’écoute.
En 2020 et 2021, nous n’avions pas de visibilité sur la faisabilité de Marsatac et cela nous a aussi permis d’aller plus loin dans notre réflexion sur ces sujets notamment au sein de l’équipe. C’est suite à ces réflexions en interne qu’est né SAFER : l’idée d’une application d’alerte pour appeler à l’aide si on est victime ou témoin d’une situation inconfortable. Le but étant de protéger le public et intervenir puis apporter un accompagnement.
Il a fallu réfléchir au dispositif dans son ensemble notamment pour les personnes qui constituent la maraude. Iels doivent déjà être sensibilisé·e·s sur ces questions. Il y a évidemment un vocabulaire spécial qu’il faut apprendre et une écoute active qui demande beaucoup d’engagement et de préparation à cette mission. Nous produisons donc nos propres modules de formations avec l’aide de Consentis, Act Right qui sont des expert·e·s de ces sujets.
Nous avons déjà testé le dispositif l’année dernière sur Marsatac et sur d’autres festivals partenaires. L’idée étant que ce dernier se déploie au bénéfice des autres festivals qui sont intéressés par la démarche.
En 2022, l’objectif est de déployer SAFER sur un plus grand nombre de manifestations. Nous avons mené la réflexion en tant que festival au bénéfice des autres festivals.

©Arnaud Ramon

Pensez-vous déployer le dispositif dans d’autres cadres que celui d’un festival ?

La question des lieux est rapidement arrivée, mais nous devrons adapter le dispositif car ce n’est pas la même mise en œuvre quand c’est à l’année.Nous sommes en dialogue avec un certain nombre de lieux aussi qui pourraient être intéressés.
La démarche serait aussi de déployer l’application sur d’autres secteurs que la musique et d’aller sur des disciplines comme le sport ou tout autre manifestation accueillant un public nombreux.
Les musiques actuelles se sont emparées de ce sujet de manière pionnière aussi car nous sommes exposé·e·s. Ce dont on s’est rendu compte dans cette expérimentation en 2021, c’est que cela a été très bien accueilli par le public notamment certain·e·s qui sont venu·e·s nous dire merci. Cela reste notre responsabilité d’organisateur·rice de nous adresser à notre public en leur faisant savoir qu’on est pré-occupé·e·s par ces sujets et que nous mettons en œuvre des actions pour les accompagner et les aider.

 

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