Malo Lacroix “Le Forte festival au Portugal m’a fait grimper d’un cran car il s’agissait ici de dessiner la scène, faire l’implantation lumière et enchaîner 3 nuits de live.”

Les performances visuelles occupent une place de plus en plus importante dans l’événementiel en France et à l’étranger. Lyonnais, Malo Lacroix est un artiste dont vous avez sûrement déjà entendu parler. À la tête de la DA du Forte Festival au Portugal, référent vidéo du Positive Education Festival à Saint-Etienne, ses créations ne s’arrêtent pas là. Rencontre avec l’artiste.

 

Parle-nous de ton parcours. Quelles formations as-tu suivi ? As-tu directement commencé à ton compte ou es-tu d’abord passé par un job à plein temps avec ton activité en parallèle ?…

À la base je voulais dessiner. J’ai commencé par l’école Emile Cohl où j’ai suivi une formation assez classique avec étude de la peinture, l’anatomie, la sculpture, la BD etc. Ensuite j’ai fait un BTS design graphique plus orienté logo, design et communication avec à la fin un workshop sur le logiciel Premiere Pro et c’est là que j’ai accroché avec le format vidéo.  Après ce BTS je suis effectivement devenu freelance car je n’avais pas le profil d’exécutant pour me faire embaucher tout de suite. Pendant un certain temps j’ai donc combiner travail alimentaire et  des projets liés à ma pratique comme beaucoup le font. Le côté alimentaire n’était pas une mauvaise chose, ça apprend l’humilité et ça booste ensuite pour avancer sur les projets plus intéressants car je me disais “Pas question de faire ça plus d’un mois ..”

Qu’est-ce qui t’a donné envie de devenir un artiste ?

Personne, je ne me suis jamais dis “hé pan ! Je veux devenir un artiste”. J’ai plus senti qu’il y avait une branche et un secteur qui m’attirait, qu’il y avait quelque chose à faire dans cette direction.

Quelles ont été tes influences ?

Lointaines :  J’ai un père assez littéraire et scientifique, la bibliothèque familiale s’est avérée comme une base de références et d’échappées avec Blueberry, Les aventures de Buck Danny, Tintin, les romans de Jules Verne, l’Île au trésor de Stevenson, des livres de contes comme Grim etc.  Les voyages aussi car je suis né en Guyane, j’ai vécu à Rennes et Nantes pour la partie Bretagne, Carthage en Tunisie, Montpellier et finalement Lyon. Tout ce mélange fait que j’ai pu voir des esthétiques et cadres très différents mais chaque fois riches qui ont bien marqués ma rétine. Par exemple j’aime bien les fleurs car en Tunisie il y avait dans le jardin des gros buissons d’hibiscus : ça faisait des formes rouges sur fond vert très saturées et contrastées .. j’ai dû bloquer dessus longtemps !
Actuelles : Beaucoup de cinéma (avec Jean-Jacques Annaud, Kubrick, Stan Brakhage, David Lynch) et bien sur la scénographie, le travail pictural, les formes de récit plus ou moins absurdes et de plus en plus les textiles et la mode.

Le métier de VJ est assez nouveau alors il faut être relativement autodidacte. Qu’est-ce qui t’a aidé dans ton processus d’apprentissage ?

Autodidacte, je ne sais pas car au final il faut avoir des compétences techniques et esthétiques pour tenir la route. Quand j’ai vraiment commencé, je n’avais pas de compétences techniques, j’étais donc forcé de poser beaucoup de questions sur le sujet. Dans le processus, il a fallu plusieurs années pour en savoir assez sur les ordinateurs, leurs cartes graphique, les vidéoprojecteurs, la régie, la LED etc. Cela ne c’est pas fait tout seul : je suis lent à apprendre des données techniques, j’ai dû aller vers les autres ce qui m’a donné l’opportunité de suivre et assister des gens qui connaissent le métier (ce bon vieux JC Vizual Invaders). Il se trouve aussi qu’on m’a donné ma chance (Pierre Serafini et Romain Starcky) ce qui m’a permis de rentrer dans des réseaux et discuter avec de nouvelles personnes. Et puis surtout j’ai assez vite décidé de chercher une esthétique qui me serait propre, ça amène des choix : ça force à avancer et ne pas se reposer sur des classiques comme l’effet miroir et kaléidoscope que je m’interdis. Pour la partie esthétique je me suis vite aperçu que le sujet VJ n’étant qu’une manière parmi d’autres de pratiquer un art visuel et au final je savais que j’avais déjà des bases pour créer une image. Il s’en est suivi une volonté de mélanger les savoirs plus classiques comme le travail du figuratif et de la narration que j’ai étudié à l’école avec des procédés plus expérimentaux que je suis allé chercher seul ou ailleurs. C’était plus ou moins chaotique mais j’avais le sentiment de voir quelque chose prendre forme.

Ton CV est bien rempli, tu as travaillé très dur ces dernières années. Dirais-tu qu’une expérience t’a forgé plus qu’une autre ? Y a-t-il une expérience clef qui t’a apporté énormément de visibilité ?

Récemment, le Forte festival au Portugal m’a fait grimper d’un cran car il s’agissait ici de dessiner la scène, faire l’implantation lumière et enchaîner 3 nuits de live. C’était un travail particulièrement plaisant mais ardu car beaucoup de choses reposaient sur mes choix. Là c’était vraiment le maximum car j’ai eu à décider de l’installation et de son esthétique sans avoir à subir une DA ou un prestataire technique. L’expérience fut particulièrement gratifiante car j’ai eu beaucoup de frustrations par le passé en raison d’une absence totale de contrôle sur l’ensemble de la scénographie (ou de la non scénographie). Je ne crois pas avoir eu beaucoup de visibilité, les VJs ça nous est un peu égal .. Il n’y a pas eu de collaboration avec un artiste star et grand publique car la visibilité est en général reliée au côté bankable. En revanche le fait d’apparaître à Dour en Belgique, au Berlinerfestspiele et faire un projet spécifique avec des noms comme Murcof, Monolake, Dasha Rush et Yves De Mey, là oui ça aide la crédibilité et la visibilité.

Ton travail repose beaucoup sur la création d’imageries de formes et de matières abstraites. Parle-nous de ton processus créatif.

Il y a beaucoup de ressentis et d’observations : j’intellectualise autant que je me laisse guider par de l’instinct visuel et sensoriel. Mais de manière générale, je trouve que c’est important de comprendre comment les éléments (lumineux, naturels, synthétiques, minéraux et animaliers) peuvent interagir et coexister ensemble. Venant de ces réflexions, je prends des notes, dessine des idées et des mots pour ensuite faire, travailler la forme et le propos jusqu’à l’épuiser. La place du voyage et de la prise de risques est quasi centrale : pas de studio, beaucoup d’improvisations, de DIY, aller chercher l’absurde, le singulier et ce qui sort des sentiers battus. Remettre en cause et questionner m’importent tout autant qu’éviter certains classiques et solutions trop faciles, c’est aussi cela qui m’amène à faire des allers retours entre le figuratif et l’abstrait  et qui ordonne beaucoup mon travail. Sinon aller au plus simple : sortir de chez soi avec une caméra et faire des images, le reste vient parfois naturellement.

Quels sont les logiciels ou outils que tu utilises dans ta pratique ? Ton setup basique avant de jouer en live ?

Concernant la création de média : la suite Adobe, un tout petit peu de Touch Designer, un GH4 Panasonic avec lentille 20mm, des moteurs et toutes sortes de lumières. Et puis bien sûr des éléments plus “naturels” qui nous entourent : verres, métaux, végétaux, liquides, minéraux, animaux morts ou vivants etc etc. Pour le live je travaille avec Resolume, un contrôleur midi et parfois une caméra qui filme de la LED contrôlable via un drone, ça me fait un générateur de pattern analogique assez brutale mais assez fun qui contraste avec les images faites à la caméra.

Travailler dans le monde de la nuit n’est pas toujours chose facile. Comment es-tu démarché et comment approches-tu chaque nouveau projet ?

Jour ou nuit, j’ai le sentiment que c’est facile nul part… et les gens utilisent beaucoup trop Facebook pour démarcher c’est l’angoisse !  Cet outil est totalement inadapté pour une discussion professionnelle ! Mmh, sinon je travaille avec l’agence Visuaal, une structure spécialisée dans le live AV, la scénographie et l’art numérique. L’agence participe à la communication et elle fait aussi le tampon entre moi et la demande. Il est aussi très fréquent que je démarche moi-même (plus que je suis démarché d’ailleurs). En règle générale j’essaye de considérer chaque demande comme un projet unique et respectif. L’idée est de trouver une réponse particulière qui m’est propre et qui va satisfaire le commanditaire. Je ne crois pas trop aux solutions passe-partout car je trouve qu’à chaque fois il y a un gros travail d’adaptation et contextualisation à faire pour un projet. Dans mon cas, je réponds à une demande assez précise 75% du temps, cette demande vient d’un endroit et d’une personne bien particulière, il est donc important de comprendre le cadre général et la personne, sans quoi on risque le hors sujet.

Tu fais partie des VJs influents en France, y a-t-il des artistes ou événements avec/pour qui tu aimerais travailler ?

Ah c’est gentil ! Mais vous pouvez dire ça à ma banquière ? Il y en a un certains oui : le Guess Who à Utrecht, Atonal et CTM à Berlin, la Rhur Triennale en Allemagne, Rencontres Photographiques d’Arles, Terraforma prêt de Milan et la Chine dispose aussi de plus en plus de musées dédiés aux nouveaux médias. Pour les artistes je songe à des personnes telles que Richard Mosse, Vatican Shadow / Prurient, Charlemagne Palestine, Demdike Stare, Abyss X, Rabih Beaini. Sinon le monde de la mode et de l’opéra / théâtre m’attire aussi de plus en plus : je sens le besoin de m’éloigner du registre uniquement sonore.

Comment dirais-tu que la scène VJ évolue en France ? Si la France devait prendre exemple sur un autre pays, lequel serait-il selon toi et pourquoi ?

Difficile à dire car je regarde pas tout ce qui se fait dans le secteur et je suis loin d’être au courant de tout. En revanche j’ai toujours le sentiment de voir des codes qui figent un peu trop la création : images N&B pour la techno, choses colorées et kitch pour la dubstep et kaléidoscope pour la trance … Par exemple, la Hollande et Belgique ont beaucoup de créatifs et de structures qui questionnent davantage les formats et niveaux de rendus pour au final se tourner vers une pratique des médias plus spécifique et singulière. Après je ne me restreins surtout pas à ces deux pays, je vois aussi des choses très qualitatives en Pologne, Italie et Allemagne etc. Mais de là à dire qu’on devrait prendre exemple je ne pense pas : ce qui se passe dans d’autres pays existe en raison d’un contexte culturel, social et économique bien particulier. Il est impossible, de fait, de vouloir faire comme les autres, reproduire ou même prendre exemple sur ce qui se passe ailleurs sans comprendre comment les choses fonctionnent dans un contexte. Par exemple, on ne verra jamais de festival comme le Guess Who exister à Montpellier car le cadre est totalement différent. En France on a la chance d’avoir certains réseaux tel que les SMAC et diverses structures de résidence artistique mais les centres d’arts et créations avec subventions publiques et privées semblent moins nombreux que dans les pays cités (encore que). En revanche c’est l’intégration du côté visuel avec la musique qui est encore un peu timide et je ne saurais pas dire pourquoi. Il y a des initiatives certes, mais l’équilibre restera inégale car le VJ est plus ou moins féodé au musicien puisque dans le contexte d’une salle de concert on vient majoritairement pour la musique et pour un nom, pas pour une scénographie. La question est aussi purement économique : il est moins risqué de mettre un gros nom avec budget et peu de scénographie plutôt que l’inverse. Mais ce rapport est assez ambigu car il y a de plus en plus de demandes pour “accompagner” un DJ ou live.

Finalement, si tu avais un ou deux conseils à donner à une personne qui souhaite se lancer ?

Je trouve déjà assez important de ne pas se restreindre au monde des musiques électroniques. C’est une association qu’on fait directement, mais il y a beaucoup de choses à apprendre ailleurs et dans d’autres registres. Le travail de la vidéo se lie facilement avec bien d’autres formats, c’est là-dessus qu’il faut être créatif afin d’enrichir ses connaissances. Sinon aller voir des gens, prouver sa motivation, rédiger des dossiers, faire un projet qui soit propre à une personne ou un groupe de personnes, lire des livres d’histoire autant que des romans, apprendre les bases de l’image en révisant les fondamentaux de la peinture, sculpture et architecture. Éviter de faire tout avec un ordinateur car le rendu est souvent trop froid, sonne faux et s’écarte de quelque chose de poétique.

Retrouvez plus d’informations sur le travail de Malo Lacroix : Site Internet / Facebook / Vimeo

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