Faire la fête après #MeToo

À l’heure de la 3ème révolution féministe post #MeToo qui a notamment mis en avant des problématiques comme la culture du viol ; la banalisation des violences sexuelles ou encore la déresponsabilisation des agresseurs, les acteurs de la scène électronique s’engagent pour faire du dancefloor un safe space. Lors de la Paris Electronic Week 2019, plusieurs d’entre eux se réunissaient pour débattre du sujet et partager leurs conseils pour créer des espaces sûrs et inclusifs.

Le dancefloor est bien souvent le reflet des discriminations et inégalités de notre société où les femmes subissent des comportements sexistes, du harcèlement et des violences sexuelles. En effet, selon l’association Consentis qui promeut une culture du consentement et lutte contre les violences sexuelles dans les lieux festifs, plus d’une femme sur deux se sent en insécurité et plus d’une femme sur deux a déjà été victime de violence sexuelle dans des lieux festifs. Pour que la fête soit libre il faut donc parler à la fois d’inclusion et de sureté. Alors comment faire et quels outils mettre en place pour trouver un juste milieu entre la liberté d’être qui on est et ce besoin légitime de se sentir en sécurité ?

Avant tout chose, il est important de bien définir de quoi nous parlons. Selon l’article 222-22 du Code Pénal: « Toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise est une agression sexuelle. »Ainsi, une main aux fesses est une agression sexuelle. Le consentement sexuel désigne quant à lui l’accord que les personnes se donnent mutuellement pour qu’une activité sexuelle ait lieu entre elles. Souvent considéré comme une zone de flou, pour qu’il soit valide, le consentement doit être enthousiaste, libre et éclairé, spécifique, réversible et informé. La fête peut entraîner une hausse de la désinhibition qui malheureusement brouille parfois ces contours. Pour lutter contre ce phénomène les acteurs de la nuit mettent en place des moyens de prévention et des actions afin d’éduquer son public et de construire un safe space pour tous.

Une communication préventive

Il est essentiel de faire un travail d’information et de prévention car l’éducation du public se fait en grande partie par les organisateurs. Cette communication doit se faire en amont et pendant l’événement : en annonçant, dès le départ, la nature de la soirée, les règles en vigueur et en utilisant un langage inclusif non genré par exemple. Aussi, les personnels de bar, d’accueil et de sécurité doivent être briefés sur les protocoles à mettre en place car ils sont au plus près du public. Il est également possible de faire appel à des associations comme Consentis et Fêtez Clairs qui interviennent lors des soirées et proposent du matériel de sensibilisation. Ce travail de pédagogie pour créer un public averti favorise l’échange et le dialogue et aide à créer les frontières entre ce qui est possible ou non de faire.

Un personnel informé

Lors des soirées, les équipes sur place doivent être alertes et nombreux sont les organisateurs qui prônent une tolérance zéro. Lorsqu’un comportement inapproprié est signalé, il est alors primordial de croire la personne qui le dénonce et de demander à la victime ce qu’elle souhaite faire.

C’est le cas du Rosa Bonheur qui a mis en place une équipe de « sérénité » composée d’agents de sécurité dont la mission est de protéger le public. En effet, il est important d’adapter et de choisir sa sécurité afin de mettre en place un dialogue et un protocole clair. Une des solutions pour créer un safe space est donc d’avoir la même équipe d’une semaine sur l’autre afin de créer un dialogue constant. Néanmoins, les services de sécurité étant souvent sous-traité, il est parfois difficile de créer cette relation durable puisque le personnel n’est souvent pas le même d’une soirée à l’autre.

Dans les pays anglo-saxons, la campagne « Ask for Angela » va également dans ce sens. L’idée est de demander au bar « Où est Angela ? » pour être amener dans un lieu calme et sécurisé pour échapper ou partir d’une situation. Cette initiative a depuis gagné la France via le Collectif féministe étudiant de Rouen.

Depuis le 20 décembre 2019, le collectif Possession dispose d’un numéro de téléphone dédié aux victimes ou témoins d’un comportement déplacé.

La fête libérée

À la question du safespace se juxtapose celle du nakedaccepté et l’adaptation des lieux avec par exemple la création de backrooms. Alors que dans certains lieux festifs ordinaires, il est commun de se faire virer dès qu’une personne est torse nu, comment rendre cette désinhibition possible et acceptée de tous ? Selon certains organisateurs, c’est le fait même que cela arrive qui crée l’acceptation. En effet, la nudité créerait une ambiance particulière qui pousserait les gens à être plus éveillés et attentifs. Par exemple, le collectif Sœurs malsaines milite pour le « free boobs » ou « libéralisation des tétons ». L’idée sous jacente à ce militantisme est que la parité passe aussi par le fait que les femmes doivent être égales face à la semi-nudité à laquelle les hommes ont le droit.

Une construction collaborative

La garantie d’une vraie sécurité pour les femmes mais aussi pour tous les genres et toutes les origines sociales et économiques passe donc par un travail collectif. Cette mixité des publics mais aussi des programmations doit s’appuyer sur une politique incitative qui se co-construit avec le public à travers l’imagination d’un véritable projet de soirée. En effet, la portée politique et sociale d’une soirée passe aussi par sa portée artistique.

Il est important de souligner que la création d’un safe space n’est jamais acquise car il est impossible de garantir que tout se passera bien. Une soirée ne peut donc pas être marketer et estampillé safe space en amont car c’est un espace fragile, en constante mutation qui ne peut être constaté qu’à un instant T. Les organisateurs doivent adopter une posture d’humilité et être en constante autocritique car la création d’un espace accueillant pour tous est un espace en continuelle mutation.

Pour résumer, le safe space provient principalement de la mise en place par les organisateurs d’un brief clair du personnel et en particulier de la sécurité, d’un stand de prévention, d’une charte publique et d’un protocole interne. Cette double action interne et externe qui passe par une communication en amont, le choix de lieux inclusifs et la gestion de la soirée par des personnes bien attentionnées génère un terreau favorable à la création d’un espace libre et sécurisé. Plus largement la création d’un safe space est un véritable projet de société qui va au delà du lieu festif. L’idée plus vaste serait d’avoir outrepassé le patriarcat et donc de ne plus avoir à créer un safe space mais que son existence aille de soi.

Photo © Romain Guédé
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