Tribune : “La culture est un impératif de santé publique”

Dans cette tribune publiée le 26 mai dernier sur Trax, Kevin Ringeval, co-fondateur de BaRk Agency et membre du Conseil d’Administration de Technopol, aborde la fête post-pandémie et les aléas que son écosystème peut rencontrer face aux mesures sanitaires mises en place. Nous la publions avec l’autorisation de Trax.

 

Lettre de soutien aux acteurs de la nuit

Le 9 mai, lors d’un après-midi de conférences en ligne pour penser “la fête d’après”, Marine Brutti, membre fondatrice du collectif (La)Horde disait : « Je suis inquiète, cet appel à la résilience amène une docilité qui peut nous faire perdre le sens de la révolte ».

La résignation d’une petite partie de la culture, et plus précisément du monde de la nuit, celle qui en vit économiquement, mais aussi celle qui la pratique avec activisme, devient, au fil des semaines d’une tristesse abyssale, sans idées, sans énergie. Ceux-là mêmes ont désormais, à longueur de réunions, d’échanges interprofessionnels, semble-t-il décidé d’un commun accord que les mesures prises par l’État à l’endroit de leur business ou de leurs passions étaient les bonnes.

Nous ne pouvons que constater que le système aura fini avec une facilité déconcertante à influencer quelques acteurs du secteur de la culture, des clubs, des discothèques, des warehouses au point d’en amener certains à accepter en toute liberté leurs fermetures sans date de reprise. Et ce, sans avoir à exercer sur eux de pressions, ni même à les convaincre de ces décisions. Une sorte de soumission s’est opérée. Heureusement, certains s’opposent et ils sont nombreux. C’est à eux que j’adresse cette lettre en forme de cri du cœur d’un orphelin de la nuit.

De nouvelles normes pour subsister

Le 14 mai le ministère de la Culture, en collaboration avec le bureau du Conseil National des professions du spectacle, a publié un document qui vise à accompagner les structures du spectacle vivant : « aide à la reprise d’activité et à la réouverture au public des salles de spectacles ». Le ministère de la Culture souhaite que les jauges des salles soient recalculées de façon à permettre que chaque spectateur dispose demain de 4m² avec marquage au sol sur le dancefloor. Nous ne pouvons que souligner l’ironie de la chose à la lecture des règles envisagées. Le juste intitulé serait plutôt “Mort sans reprise pour la fermeture au public des salles de spectacles”.

En effet, le protocole que propose le ministère n’est aucunement tenable, pour des raisons logiques d’inadéquation entre distanciation sociale et spectacle vivant d’une part et pour des raisons de coût évidentes d’autre part. Les mesures prévues imposeront de doubler le personnel pour des jauges réduites aux trois quarts, sachant que les lieux étaient, dans le monde d’avant, dans un équilibre économique précaire. Nous sommes à une balance de l’histoire où les libertés individuelles et collectives s’évanouissent progressivement et sans bruit sous  prétexte de mener « la guerre » au Covid-19.

Face aux règles édictées par le gouvernement et notamment les mesures de restriction de vivre ensemble pour endiguer la progression de la pandémie, il est à craindre raisonnablement que des gouvernements se servent de la conjoncture pour accroître leurs pouvoirs. Il est à craindre que certains d’entre eux ne renonceront probablement pas à ces nouveaux pouvoirs une fois la pandémie terminée. Le contrôle de la nuit, de la fête, les solutions pour la rendre docile, obéissante sont potentiellement enfin à la portée des censeurs, sous couvert de la “sécurité nationale”.

Place à la résistance culturelle

Le dispositif Vigipirate, pensé pour contrer le terrorisme, est l’exemple parfait d’un outil de contrôle des masses qui perdure depuis plus de vingt ans, en France. Il est donc devenu banal de croiser des militaires armés dans la rue,  dans les gares et devant les bâtiments publics ou cultuels.  À l’époque, le gouvernement indiquait que cet état d’alerte demeurerait « jusqu’à nouvel ordre ». La réponse est la même aujourd’hui… Au nom de la lutte contre la pandémie, les Français ont été privés de leur droit : se cultiver collectivement, faire la fête, faire société dans vos lieux, dans vos espaces.

Chers producteurs, artisans de la fête, diffuseurs de culture, vous êtes les cultivateurs de nos rêves éveillés, vous êtes un impératif de santé publique, une nécessité vitale, ceux qui doivent s’opposer avec le plus de vigueur aux GAFA et aux grandes industries culturelles sinon tout va disparaître. Acteurs de la nuit, de la fête nous sommes avec vous, mes ami(e)s noctambules et moi, nous les doux raveurs, nous croyons en vous, que vous ne céderez ni à la peur ni aux interdictions d’un état d’urgence liberticide. La culture c’est évidemment une forme de résistance que vous avez dû toujours épouser.

Votre mission, artistique et sociale, consiste à nous rassembler et nourrir nos imaginaires, vous avez un rôle indispensable celui d’être des créateurs de lien social. Nous comptons sur vous, sur votre militantisme, sur votre vigilance, pour que les réglementations que l’État souhaite vous imposer ne deviennent pas les règles de demain.

La fête, un écosystème fragile mais nécessaire

Alors nous allons avoir besoin de vous au combat ! Vous n’êtes pas plus dangereux que le métro, pas plus dangereux qu’une grande surface alimentaire, pas plus dangereux non plus que le Puy du fou, le Futuroscope ou Walibi… Le monde de la nuit n’a pas plus de risque d’être à l’origine de cluster. Alors, donnez-vous les moyens d’une réouverture rapide.

Nous souhaitons et attendons pour votre secteur un véritable plan de relance, nous refusons que vous soyez de nouveau victimes de cette « guerre », comme la culture l’est régulièrement. Souvenons-nous du SIDA où le monde de la nuit a été stigmatisé. Souvenons-nous du Bataclan ou encore des événements à Charlie Hebdo. Vous avez déjà suffisamment souffert. La culture libère, la culture permet de résister, de penser, de vivre, cela fait d’elle un bouclier majeur, sans cesse frappé.

Nous ne laisserons pas nos dirigeants politiques, après avoir échoué sur les tests, les masques ou les élections municipales, afficher désormais autant de bêtise autoritaire, sanctionner l’ensemble de votre écosystème si fragile. La stigmatisation (encore une fois) de ceux qui vivent et travaillent la nuit est intolérable.

Pour finir cette lettre de soutien ou plutôt d’amour, nous tenons à vous renouveler notre confiance, celle que nous avons en vos fêtes et en vos clubs, vos salles, vos univers. Vous êtes un rempart contre le repli sur soi, nous avons besoin de vous et nous serons présents à vos côtés pour faire du futur un espace festif au service du vivant, pour cela nous vous voulons engagés et armés de propositions !

Photo Dour Festival 2018 © Boris Görtz
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