Technopol Mix 057 | LEGIT GIRL DJ

Histoires de cœurs brisés et expériences de club vécues comme à bout de souffle : LEGIT GIRL DJ entrelace les mélodies et les rythmes en poursuivant toujours le but d’évoquer des souvenirs conservés avec soin. De sonorités hard dance, gabber et techno, en passant par des éclats deconstructed club & ambient – à travers ses sets, son travail de productrice et son podcast Radio Superstar, elle entraîne les auditeurs.ices dans un voyage nostalgique entre sentiments amoureux et corps en tension. Depuis mi-2022, elle a été invitée à jouer pour des labels et collectifs tels que Live From Earth, Soul Feeder, Sirens, Warning and Promesses, et participé aux festivals Peacock (Paris, FR) ou encore Maintenant Festival (Rennes, FR). Récemment, elle a également assuré la première partie des concerts d’artistes à l’instar de Sevdaliza et Namasenda durant leurs tournées françaises. LEGIT GIRL DJ est la créatrice du podcast hebdomadaire Radio Superstar, dans lequel elle partage sa connaissance de l’industrie musicale et du DJing, ainsi que la co-curatrice du takeover annuel célébrant le mois des fiertés sur Rinse France, dédié à mettre en vedette les talents de la scène musicale électronique LGBTQ+.

 

Quelle est l’histoire derrière ton nom d’artiste ?

J’ai choisi mon nom d’artiste il y a environ un an et demi, un tout petit peu après avoir commencé à mixer. Initialement, c’était une simple blague que j’avais faite sur les réseaux sociaux – « Look mom, I’m a legit girl DJ now! ». À ce stade de ma carrière, j’avais beaucoup de mal à me sentir légitime en tant que DJ (dans une industrie aussi saturée) et surtout en tant que femme DJ, et j’ai eu une sorte de réalisation à l’issue de laquelle j’ai compris que personne d’autre que moi-même n’allait m’accorder ce feu vert pour assumer de vouloir faire carrière dans la musique. C’est un nom d’artiste à double sens : « legit DJ » pour l’autorisation de demander ma place dans la musique, mais aussi « legit girl » en référence à ma relation à la féminité, que j’ai souvent l’impression de performer sans réelle légitimité. C’est pour cela que je passe mon temps à courir après les coquilles sur les flyers où l’on m’identifie comme simplement « Legit Girl ». Chaque mot compte 😉

 

Quel est ton processus artistique lorsque tu produis de la musique ?

Le son ne rentre en réalité en jeu qu’assez tardivement dans mon processus de création musicale. Celui-ci commence toujours par les mots, mon outil principal. Je pioche dans mes réserves (souvent l’application Pages sur mon téléphone) des titres ou fragments de poèmes à travers lesquels j’ai fixé une intention ou émotion. Parfois, un titre me suffit ; par moments je ressens le besoin d’écrire davantage et m’abandonner à la vulnérabilité d’une fiction complète même si elle n’a pas toujours vocation à être lue. Certaines finissent dans leur version éditée en description d’un post Instagram et d’autres restent mes secrets. Puis, j’établis une gamme de couleurs selon ce que m’évoque le texte, ainsi que des moodboards photo/vidéo (après Ableton, Pinterest est mon interface la plus utilisée pour la musique), afin de créer l’atmosphère mentale qui me permet de donner naissance au son. Je suis entièrement régie par mes émotions. Chaque mix et track sont dédiés à la personne que j’aime au moment où je les produis.

 

Qu’est ce qui te séduit dans l’approche de la performance et de la scène ?

La relation performative à la musique est cruciale pour moi car elle me permet de me l’approprier. A défaut de faire du body art, j’ai voulu devenir DJ pour tendre vers une incantation charnelle de la musique – pouvoir la toucher à mains nues à travers les platines, occuper l’espace du booth avec mon corps en le sentant frémir et traversé par les ondes et les lignes de basse. Cela me donne la sensation de ne faire qu’un avec les morceaux, qu’il s’agisse des miens ou surtout de ceux d’autres producteur.rices. Je suis obsédée par la poursuite de création d’alter egos et de personnages de scène. Je n’ai pas d’idoles en particulier dans la musique ou le DJing, mes références absolues sont des figures d’artistes mettant leur corps au service de leur production.

 

Pourrais-tu nous parler un peu du contexte dans lequel tu as créé ce podcast ? Y avait-il des émotions spécifiques que tu voulais transmettre ?

La proposition de concevoir ce mix est arrivée dans un moment assez pivot pour moi, alors même que j’étais en train de retomber amoureuse de la techno et de ses morceaux hypnotiques et bouncy, après en avoir fait le thème de ma première date au mythique Rex Club à Paris ainsi que pour les collectifs Métaphore et Boundless, basés à Marseille. C’était l’occasion pour moi de me plonger dans l’étude des classiques et de sous-genres de techno que je n’avais jusque-là que peu mis à profit, et de m’écarter pour ce podcast de ce à quoi peuvent s’attendre les gens qui me connaissent surtout pour des sonorités hardcore et beaucoup de remixes. J’en ai inclus aussi, bien sûr, car cela fait partie de mon identité musicale – mais ils ne sont ici pas au coeur de mon propos.
Son atmosphère visuelle s’apparente à l’image d’un club vide avant la fête comme un espace liminal, coloré de tonalités de bleu froid, anthracite et argent. J’avais en tête une espèce de fusion entre les ambiances des films Kaboom de Gregg Araki (2010) et Cosmopolis de David Cronenberg (2014). Il s’agit en quelque sorte de ma version d’un hommage aux années 1990, en tant que personne qui n’a pas grandi bercée par ces références, agrémentée de mon propre corpus référentiel de la deuxième moitié des années 2010 et d’aujourd’hui. Ce set écrit une nouvelle page, plus mature peut-être, de mon parcours dans la musique électronique.

 

En tant qu’artiste, comment souhaites-tu évoluer dans les années à venir ? Y a-t-il un nouveau moyen d’expression artistique que tu aimerais utiliser ?

Je vois mon évolution professionnelle comme un récit artistique, une recherche de sens et par conséquent d’outils qui me permettent d’approfondir et soutenir mon propos. J’aimerais à terme être reconnue non seulement en tant que DJ mais aussi comme artiste pluridisciplinaire – voire plasticienne – et qu’autant que possible mon parcours reflète le corpus de référence de ma production sonore, qui dépasse le simple champ musical. J’ai hâte de revenir à mes sources et ma formation en arts pour m’investir davantage dans la production d’image (surtout vidéo). Débloquer de nouvelles quêtes secondaires : apprendre une langue supplémentaire, construire d’étranges machines à bruits, écrire un livre d’accord mets-chansons.

 

Comment imagines-tu le futur de la scène ?

L’aspect communautaire me semble plus fort que jamais dans les niches musicales auxquelles j’appartiens, par nature mais aussi en réaction aux prises de position d’autres générations qui parfois encore refusent de nous accepter comme leurs pairs. Je suis fière d’appartenir à une génération d’artistes qui semble de plus en plus vouloir faire le lien entre musique et engagement politique, à notre échelle en tant que musicien.ne.s : évènements de soutien, levées de fonds, compilations à but non lucratif… Il me semble que nous sommes beaucoup à être en quête de sens, et à mettre cette quête au centre de notre pratique artistique. Toute forme d’art est intrinsèquement politique. La musique et par conséquent le DJing n’échappent pas à cette règle et, comme nos aîné.e.s dans les années 80-90, nous grandissons dans un contexte où c’est impossible à oublier, d’autant plus que nous bénéficions tous.tes de plateformes de diffusion digitales. Je conçois le futur de la scène avec ce climat en tête : une profonde recherche de sens et un retour à l’idée de communauté, avec de plus en plus de ponts créés entre le DJing et d’autres domaines artistiques comme la mode, l’image et la performance.

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