
PREMIERE | Epectase & Duppy – Interception [a89records]
Duppy alias Stepart, owner du label Hologram Records et producteur reconnu dans la scène dub et dubstep et Epectase, artiste issue de la culture rave et bass, ont formé un duo spécialement pour le projet 42k rescues du label a89records.
Cette compilation inspirée par les 42 000 vies sauvées en mer par SOS MEDITERRANEE est construite à partir d’archives sonores réelles collectées lors des missions de sauvetage, transformant voix, sirènes et témoignages en musique qui portent la mémoire et la résistance.Tous les revenus seront partagés à parts égales entre l’ONG et les artistes participant·es.
À travers cette collaboration sur le morceau Interception, le duo positionne ses productions comme vecteurs de mémoire et de mobilisation. Terrain d’experimentation, mêlant sonorités des années 90 et marqueurs Bass Music puissants, la fusion Epectase et Duppy rebat les cartes de la musique club en y intégrant une variable émotionnelle. Pour ne jamais oublier. Pour ne jamais recommencer.
Rencontre avec Laura, créatrice du label a89records, Epectase et Duppy (alias Stepart) pour la sortie de leur track Interception sur Technopol.
Comment l’idée de la compilation 42k rescues est-elle née ?
Laura : 42k rescues est la première compilation de a89records, label pour la création d’un patrimoine musical militant né à Marseille, capitale méditerranéenne tournée vers la mer. J’ai monté ce label en août 2025, avec la précieuse aide de Germain Calsou (Germain CLS). L’identité visuelle du label est réalisée par Eugénie Garcia, notamment via son projet color selector.
a89records, c’est l’envie, dans un monde qui vacille, de participer à la création de nos propres espaces d’expression et de solidarité. Parce que je crois vraiment que la musique et les murs, au-delà des manifestations qui sont plus que jamais indispensables, sont les moyens qu’il nous reste pour nous exprimer et pour ouvrir les yeux et les esprits. Pour continuer à créer. Pour ne jamais oublier. Pour ne jamais recommencer.
Le premier partenariat s’est fait naturellement avec SOS MEDITERRANEE, association humanitaire de sauvetage en mer créée en 2015 à l’initiative de citoyen.ne.s européen.ne.s indigné.e.s face aux naufrages à répétition en Méditerranée. Avec 42k rescues, nous tentons de rendre une part d’humanité aux plus de 42 000 personnes sauvées par SOS MEDITERRANEE depuis 2014. Nous voulons rendre visibles celles et ceux qui sont contraint.e.s de prendre la mer, et celles et ceux qui refusent de détourner le regard. Nous voulons faire une place dans l’espace public comme dans les consciences à leurs histoires, leurs messages, leur courage. À travers nos morceaux, nous cherchons à inscrire ces récits dans les mémoires collectives et individuelles.
Comment avez-vous sélectionné les artistes qui participent à ce projet, et quel rôle a joué leur sensibilité personnelle ?
Laura : J’ai contacté des artistes engagés, qui s’exprimaient avec humanité sur le sujet des populations déplacées et des réfugié.e.s. Je remercie grandement Epectase, Duppy alias Stepart, Tim Karbon, RAVL, Cardozo, Germain CLS, Vanda Forte et Israfil de m’avoir fait confiance et d’avoir mis autant d’énergie et de bienveillance dans ce premier projet.
La sélection a également été faite avec un angle musical, de style. Le choix du répertoire Bass Music est apparu comme émotionnellement juste pour porter les messages identifiés. L’équilibre entre gammes mineures et pointe majeure ainsi que l’intensité des lignes de basses corrélées à une rythmique qui porte reflètent pour moi autant l’urgence du sujet que l’espoir porté par les acteurs comme SOS MEDITERRANEE.
Côté Artwork, Iheb Fehri a prêté sa main via son très beau projet Iheb from earth. C’est après un immense travail de repérage, sélection et conceptualisation de sa part que le Cycle des Yeux est né. Avec ce visuel, puissant, qui empêche de se cacher, nous voulons inciter à voir et à agir. Iheb est également photographe-retoucheur pour ce projet.
Chaque morceau s’inspire d’un épisode ou d’un sujet précis lié aux sauvetages en mer. Comment les artistes ont-ils travaillé pour traduire ces réalités en musique ?
Laura : Chaque morceau est une création originale, conçue à partir d’archives sonores collectées lors des missions de sauvetage de SOS MEDITERRANEE, notamment par la réalisatrice Hara Kaminara et le reporter Mathieu Laurent. À partir de ces enregistrements, chaque artiste a produit une œuvre qui donne à entendre, à sa manière, la réalité brute de l’urgence humanitaire en Méditerranée. Chaque morceau s’inspire d’un des sujets suivants : l’interception par les gardes-côtes Libyens, le naufrage de Lampedusa, l’Ocean Viking, l’Aquarius et ses rescapé.e.s, les chants des rescapé.e.s, les sauveteur.euse.s en mer.
On partage aujourd’hui la track de Epectase et Duppy alias Stepart « Interception », pouvez-vous nous en dire un mot ?
Laura : Epectase et Duppy (alias Stepart) se sont intéressés au sujet des interceptions par les gardes-côtes libyens. Sujet plus qu’actuel, puisque l’Ocean Viking, le navire humanitaire affrété par SOS MEDITERRANEE, a été attaqué par ces derniers le 24 août dernier, mettant en danger la vie des personnes à bord et causant d’importants dégâts. Depuis 2017, plutôt que d’allouer des fonds à des ressources de sauvetage, l’Union Européenne externalise le contrôle de ses frontières en finançant les garde-côtes libyens. En contradiction avec les obligations dictées par le droit international, ils interceptent les personnes en détresse et les renvoient de force en Libye, où leurs droits humains sont bafoués. Les extraits que vous pouvez entendre dans le morceau sont issus de la vidéo “Comment les garde-côtes libyens financés par l’UE renvoient les naufragés vers un cycle d’abus” de SOS MEDITERRANEE.
Epectase et Duppy (alias Stepart) : Pour nous, chaque action, chaque prise de parole, qui tentent de rendre un peu d’humanité à ce monde apparaissent comme vitales. Participer à cette compilation est une grande fierté, mais aussi une responsabilité : porter une parole qui dépasse la musique et tente de s’inscrire durablement dans les mémoires. C’est avec humilité que nous essayons de faire passer un message à travers ce morceau : celui de la nécessité de prendre conscience, de gagner en empathie, là où ces valeurs semblent se perdre dans la multitude. La musique est par essence un moyen de sensibiliser. C’est ce qu’elle a toujours été dans nos cœurs et dans nos corps. Nous espérons que cette démarche, liée à l’art, liée à la musique et qui porte des sujets militants et politiques ouvre la voie à d’autres projets.
Nous voulons œuvrer pour que les voix qui sont trop souvent tuent puissent se propager. Et nous voulons inciter à faire face, ensemble et les coudes serrés, à ce visage bien sombre de notre société.
Selon vous, quel rôle les artistes et les structures culturelles peuvent-ils jouer dans la sensibilisation aux enjeux migratoires et, plus largement, dans l’engagement politique ?
Laura : La fête est belle et bien politique (cf. Boom Boom, Politique du Dancefloor d’Arnaud Idelon). Et pour a89records, la musique électronique l’est aussi. C’est un art qui, par son implantation dans le temps, par sa capacité tant à rassembler qu’à polariser et à faire réfléchir, est par essence politique et engagé. Pour le label et les artistes, c’est un moyen de créer un espace au-delà du paysage médiatique et des prises de parole politiques qui aujourd’hui font dramatiquement foi, et ce particulièrement quand il s’agit du sujet des réfugié.e.s.
En tant qu’artiste ou que structure, nous n’avons plus le choix. Dès lors que nous avons la possibilité de nous mettre au service d’une cause et que nous avons les moyens de lui donner une place, nous nous devons d’agir. À l’heure des grandes démonstrations d’engagement, je pense qu’il reste primordial de le faire avec la plus grande humilité possible. Parce que souvent, nous portons des voix qui ne sont pas les nôtres. C’est le cas dans cette compilation où nous avons utilisé des samples et du matériel sonore récolté par SOS MEDITERRANEE. Nous portons les voix de celles et ceux que personne ne voit, n’écoute, n’entend. Et souvent, nous agissons d’une position de privilèges. Il ne faut jamais l’oublier.